Texte de Christiane Laforge
lu à la présentation de Marie-Claire Bouchard
au Gala de l'Ordre du Bleuet, le 6 juin 2015

Au commencement était l’amitié. La complicité entre deux enseignantes de l’école primaire de Saint-Bruno. La volonté d’intégrer les arts en milieu scolaire. L’enthousiasme dans la production de la pièce Le chat botté alliant musique, danse et théâtre. Un botté d’envoi qui s’est multiplié en entrechats pour des milliers d’enfants du Lac-Saint-Jean et du Saguenay

Au commencement étaient Marie-Claire Bouchard et Germaine Tremblay. Un pas de deux devenu un pas de trois avec France Proulx, véritable ballet de bénévoles donnant naissance à l’école de danse Le Prisme culturel.

Avant que s’élance, sous le regard ébloui du public de la Scala de Milan, le célèbre Petit Prince de Lac-à-la-Croix, Guillaume Côté, un des plus grands danseurs du monde, il y a eu bien des pas secrets dans les coulisses. Fonder une école de danse en milieu rural, où les préoccupations culturelles sont la culture de la terre, l’industrie et le sport, à une époque émergeant à peine des prohibitions cléricales, exige une détermination à toute épreuve. Marie-Claire Bouchard n’en manque pas. Avec des alliées aussi déterminées qu’elle peut l’être, elle défonce les portes de la résistance et de l’indifférence politique, grugeant heure par heure le temps de disposer de la salle du conseil municipal pour les répétitions des élèves. « Les chaises de bois et la rampe d’escalier font office de barre », relate Germaine Tremblay dans le tapuscrit de son autobiographie.

La polyvalence est requise. Marie-Claire, musicienne autodidacte, accompagne au piano, participe au recrutement des élèves et des bénévoles, confectionne les costumes jusqu’au cœur de ses nuits. Un dévouement qui ne faillira jamais, ni dans la maladie, ni dans les épreuves, afin d’assurer aux enfants de ce milieu rural l’accès à une formation de qualité dans une discipline dont ils seraient autrement privés.

Pour cette fille de cultivateur, née à Saint-Bruno le 9 février 1947, pour cette femme de défis, mariée à Émile Tremblay en 1970, bachelière de l’Université du Québec à Chicoutimi et présidente du comité de parents à Jonquière, Le prisme culturel est devenu le point d’ancrage de toute sa famille. Ses frères Clément et Marcel sont recrutés comme danseurs. Émile, ferblantier à l’usine Alcan d’Arvida, s’occupe des éclairages. Leurs fils, Raymond, Frédéric et Pascal, élèves du Prisme, seront tour à tour recrutés à 11 ans par l’École des Grands Ballets. Raymond, menant avec succès une carrière de danseur professionnel, est revenu travailler pour l’école de son enfance à titre de chorégraphe, directeur de production, directeur technique et metteur en scène. Indéniablement digne fils de sa mère, ne soyons pas surpris que sa conjointe, Marie-Chantale, y enseigne et que leur fille de 5 ans y pratique ses premiers pas de danse.

Le Prisme culturel est l’héritage d’un travail acharné, d’une conquête menée année après année pour assurer son développement et, ainsi, pourvoir les enfants des plus petites localités d’un lieu où apprendre l’art de la danse et, par ricochet, l’art de l’espérance. Car de l’espoir, il en faut pour solliciter et transformer les commerçants du village en commanditaires, réunissant, à raison de modestes billets de 2 à 5 dollars, de quoi acheter le carton des affiches, les mètres de tissu et quelques pots de peinture pour les décors. Tout est combat : la quête de locaux, les fonds pour les professeurs et plus encore pour convaincre les subventionnaires qu’il importe davantage de contribuer à la formation qu’aux accessoires. En 1978, l’école devient un organisme sans but lucratif sous le nom de Prisme culturel et offre ses cours à Notre-Dame d’Hébertville, Métabetchouan, Larouche, Delisle, Arvida, Dolbeau et Saint-Félicien. Elle fusionne avec le Collège des ballets de Jonquière en 1981 et, quelques années plus tard, incorpore sous son nom Le Studio Arabesque et Le Club de Ballet d’Alma. En 1979 et jusqu’à la fin de sa vie, Marie-Claire assume le poste de directrice générale.

Spectacles d’envergure, gala annuel, création d’une compagnie de danse, camps d’été ateliers, activités pédagogiques, Le Prisme culturel s’impose par la qualité de son enseignement, son dynamisme, ses spectacles et le talent de ses élèves, nombreux à poursuivre leur formation dans les écoles les plus prestigieuses de Montréal, Toronto et Winnipeg. Des centaines d’élèves de tous âges s’y inscrivent chaque année auprès de 26 professeurs. Parmi ses fleurons, figure cette magistrale production annuelle de Noël, présentée avec bonheur depuis 1998, Casse-Noisette, réunissant 120 danseurs professionnels et aspirants, accompagnés depuis 2014 d’un orchestre professionnel de 30 musiciens.

Dans son mémoire, Germaine Tremblay, cofondatrice du Prisme culturel écrit : « Marie-Claire Bouchard se révèlera une administratrice rigoureuse, appliquée et perfectionniste. Les pieds bien sur terre, mais les yeux dans l’eau, lorsque je la surprends à admirer les danseurs sur la scène. » Femme discrète, toujours soucieuse de mettre en valeur ses coéquipiers, Mme Bouchard, présidente et directrice générale du Prisme culturel s’inclinait, admirative, devant ses chorégraphes, sa directrice artistique, ses élèves et même les parents, s’effaçant humblement de peur que nous ne sachions pas que cette école est l’œuvre d’une grande équipe.

Présente et active jusqu’à la fin, Marie-Claire Bouchard mènera, en 2009, son ultime combat. Sa ténacité admirable qui l’a gardé au gouvernail de son école, même dans le deuil cruel de son enfant, a succombé aux assauts de la maladie le 17 février 2010. Voyant les résultats tangibles de tant d’années investies et dont témoignent fièrement Claude Gagnon qui s’est illustrée à Florence, Josée Lessard-Harvey au Winnipeg Ballet, Raymond Tremblay au North Ballet d'Alberta, Julie Perron au Cirque du Soleil et Guillaume Côté à New York, Londres, Milan et autres grandes scènes du monde, mission accomplie peut-elle se dire désormais.


Le 6 juin 2015
Marie-Claire Bouchard

Cofondatrice du Prisme culturel
Pour sa contribution exceptionnelle à la danse
Et à la formation des plus jeunes
fut reçue membre de l’Ordre du Bleuet
à titre posthume

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lundi 22 juin 2015

MARIE-CLAIRE BOUCHARD SUR VIDÉO AU GALA 2015 DE L'ORDRE DU BLEUET


Marie-Claire Bouchard

Quelques minutes pour se souvenir
d'un grand moment

Gala 2015 de l'Ordre du Bleuet






Réalisation Ariel Laforge
Texte Christiane Laforge
Lecteur Christian Ouellet

POURQUOI L'ORDRE DU BLEUET

L'intensité et la qualité de la vie culturelle et artistique au Saguenay-Lac-Saint-Jean est reconnue bien au-delà de nos frontières. Nos artistes, par leur talent, sont devenus les ambassadeurs d'une terre féconde où cohabitent avec succès toutes les disciplines artistiques. Cet extraordinaire héritage nous le devons à de nombreuses personnes qui ont contribué à l'éclosion, à la formation et au rayonnement de nos artistes et créateurs. La Société de l'Ordre du Bleuet a été fondée pour leurs rendre hommage.La grandeur d'une société se mesure par la diversité et la qualité de ses institutions culturelles. Mais et surtout par sa volonté à reconnaître l'excellence du parcours de ceux et celles qui en sont issus.